Lentille CONNECTEE

– La lentille de contact, cheval de Troie de la réalité augmentée ?
Lentille de contact connectée iOptik

L’annonce en juillet dernier de la collaboration entre Google et un grand nom de la contactologie pour le développement d’une lentille de contact capable de mesurer en continu le taux de glucose chez le diabétique, n’a pas vraiment surpris le milieu des spécialistes de l’informatique et des objets connectés : la santé est un domaine très spécifique, très réglementé, et on ne l’aborde pas comme celui des smartphones ou des voitures à pilotage automatique. Certes, les applications médicales des lentilles de contact existent déjà, comme la diffusion de médicaments ou le monitoring de la pression intraoculaire, ce que fait par exemple la société suisse Sensimed avec son Triggerfish sensor, très proche dans son principe de la Smart Lens de Google. Le diabète est aussi une maladie fréquente, touchant plus de 25 millions de personnes rien qu’aux Etats-Unis, et c’est donc un marché important. Pourtant il est probable que ce qui motive Google soit d’une tout autre nature. La lentille de contact pourrait bien être dans un futur proche la clé de la réalité augmentée.

Lentille Smart Lens de Google

Lorsque sont apparues, il y a déjà deux ans, les Google Glass, ces lunettes qui permettent l’affichage en transparence d’informations sur le monde alentour, on aurait pu penser que cette nouveauté allait faire le bonheur des « geeks », ces insatiables des gadgets électroniques, et la fortune de Google qui pouvait développer son business model, à savoir collecter un maximum d’informations sur des individus/consommateurs pour les vendre à des sociétés à la recherche de leurs clients. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Les incidents se sont multipliés, d’abord à San Francisco où les employés Google sont détestés et où le fait qu’ils aient ces lunettes en premier permettait de les reconnaître, puis partout dans le monde car les autres avaient la sensation d’être enregistrés, ou photographiés, ou que le « glasshole », terme très péjoratif pour le porteur, avait accès à des informations confidentielles sur les gens qu’il rencontrait. On a ainsi souhaité les interdire dans les bars, au volant, dans les musées, ce qui fait que, de l’aveu même des utilisateurs, ils évitent désormais de les porter!

Les Google Glass n’auraient-elles plus d’avenir ?

Certainement pas. D’abord parce que ces lunettes ne font que rendre visibles des informations qui sont déjà disponibles sur nos smartphones, lesquels voient leur nombre augmenter de façon stratosphérique dans le monde. Ensuite parce que l’enregistrement en continu de sa vie fait partie des nouveaux comportements de l’homo electronicus du 21e siècle, et que, plutôt que de se visser à demeure une caméra GoPro sur la tête, mieux vaut commencer par des selfies à répétition et enchaîner avec des Google Glass ou leur équivalent. Car Google n’est pas la seule société qui s’intéresse aux lunettes connectées : Essilor n’a peut être pas dit son dernier mot à ce sujet…

Encore faut-il passer la barrière des autres. Et c’est là qu’interviennent les lentilles de contact. Pratiquement invisibles, elles ne donnent aucun indice extérieur sur leur présence et leurs fonctions éventuelles de réalité augmentée ou d’enregistrement de photos ou de vidéos. A la condition bien sûr de pouvoir miniaturiser tous les composants électroniques, sans que le confort de port de la lentille n’en pâtisse. Science fiction ? Voyons un peu ce qui se trame du côté des startups et dans les laboratoires de Google X, la branche anticipation de Google.

Principe de fonctionnement de la lentille iOptik (source Innovega)

Un premier indice nous est donné par le système encore expérimental développé par la société Innovega aux Etats-Unis. Il s’agit d’une paire de lunettes standard mais comportant sur la face intérieure de l’un des verres un minuscule écran haute résolution. Pour voir l’information qui s’affiche sur l’écran il faut porter une lentille de contact, baptisée iOptik. Les détails ne sont pas connus, mais il semble que la lentille combine une addition centrale et un filtre périphérique pour éviter le brouillage des images. La lentille peut, de plus, corriger les amétropies éventuelles.

Pas d’application médicale directe ici : on est bien dans la réalité augmentée avec la possibilité de rajouter au champ de vision des informations provenant de l’écran, comme un guidage GPS, telles que la présence d’un restaurant et de ses heures d’ouverture, ou, n’oublions pas le business model, de la publicité. Et en toute discrétion puisque l’écran est du côté interne des lunettes.

Les chercheurs d’Innovega auraient-ils brûlé la politesse à Google ? Pour le savoir il faut se plonger dans la partie visible de sa très féconde propriété intellectuelle : ses brevets.

On découvre ainsi que Google travaille méthodiquement au développement d’une lentille de contact connectée. Plusieurs problèmes à résoudre : la tolérance de la lentille, la miniaturisation des éléments électroniques et l’incorporation de caméras ou de récepteurs à l’intérieur de la lentille.

Brevet sur des capteurs mesurant l’hydratation d’une lentille

Tous les fabricants de lentilles le savent, la tolérance et le confort des lentilles de contact est la clé de leur succès à long terme. Le risque est donc grand lorsqu’on décide un investissement massif dans ce domaine, surtout que la présence d’éléments électroniques au sein même de la lentille peut être un obstacle, en particulier à la transmission de l’oxygène. Google a donc breveté l’utilisation de capteurs multiples à l’intérieur de la lentille et leur couplage, direct ou par transmission, à des éléments qui peuvent être intégrés ou à l’extérieur de la lentille. Prenons le cas du problème bien connu de la déshydratation de la lentille en cours de journée. Un brevet Google porte sur la mesure du taux d’hydratation d’une lentille de contact par mesure de la conductivité entre différents points de la lentille, ou par mesure piézoélectrique de sa déformation, et à la transmission de cette information si par exemple un seuil de déshydratation est atteint. L’information peut ainsi être transmise au porteur, qui peut volontairement hydrater ses lentilles avant que le port ne devienne désagréable. Un autre brevet porte sur un capteur d’oxygène, autre élément du confort de port, et qui peut être de plus étendu à la mesure du taux d’oxygène sanguin.

Pour la miniaturisation des éléments électroniques et leur inclusion dans le matériau des lentilles de contact, Google s’appuie sur des brevets des chercheurs de l’Université de l’Etat de Washington qui, dès 2007, avaient pressenti l’intérêt d’associer des circuits électroniques et des systèmes de transmission à l’intérieur des lentilles de contact. Ces brevets ont été complétés par des systèmes optiques permettant l’émission et la réception d’information visuelle, comme celles provenant d’un écran d’ordinateur.

Brevet sur une lentille connectée avec capteur d’images et transmission sans fil

Quant à la caméra embarquée dans une lentille, elle fait l’objet d’un brevet tout récent (septembre 2014) qui associe un ou plusieurs capteurs d’images, à des composants de traitement et de transmission de l’image. Même le problème de l’énergie nécessaire est abordé, via une transmission sans fil, peut-être à partir de branches de lunettes.

On le voit, étape par étape, les difficultés techniques liées à la lentille connectée sont abordées et des solutions sont proposées. Google n’a d’autre part pas caché qu’il souhaitait s’associer à des fabricants de lentilles de contact pour aller plus loin dans la mise au point de prototypes et les tests. C’est tout un pan de l’industrie de la lentille de contact qui va devoir s’y adapter.

GPS connecté à une lentille de contact (source Innovega)